lundi 7 avril 2014

Alexis Guegan, L’officier de fantaisie – une culture de la provocation au XIXe siècle





L’expression « officier de fantaisie » est aujourd’hui tombée en désuétude. Elle remonte à l’Ancien Régime. Ainsi appelait-on les officiers d’origine aristocratique qui, faisant fi des règles de la bienséance militaire, au cantonnement comme sur le champ de bataille, exprimaient leur personnalité et leur art de vivre par des excentricités de tenue ou des bizarreries de comportement que redoutait la hiérarchie mais qui suscitaient la reconnaissance de leurs pairs et l’admiration de leurs soldats.
Écrit d’une plume alerte et non dénuée d’humour, l’auteur ne cherche nullement l’exhaustivité. Ce livre constitue en premier lieu un ouvrage personnel destiné à restituer de la façon la plus précise et honnête qui soit l’âme et l’esprit que partagèrent jusqu’à une époque récente des hommes d’armes d’une trempe particulière.
S’appuyant sur des récits, des témoignages écrits ou des textes extraits de la littérature, Alexis Guegan marque les évolutions successives de ce phénomène tout au long du XIXe siècle ainsi que ses multiples interactions avec son environnement extérieur. Au fil des pages, il fait brillamment émerger ce mélange d’élégance, de courage, de panache et d’absurdité qui constituait la culture de ces officiers provocateurs.

L’officier de fantaisie ou le dandy militaire, un article par Alexis GUEGAN

On cite souvent les salons de Juliette Adam et de la princesse Mathilde sans être jamais surpris par le nombre d’uniformes présents ; on y voit parader Eugène Sue, Arsène Houssaye ou Victor Hugo quand on renverse par erreur le verre du marquis de Galliffet, général français, élégant lion taillé impeccablement dans ses costumes. On croise à la sortie de célèbres cabarets ou théâtres parisiens quelques fameux dandies : Boniface de Castellane le premier, sans se douter un seul instant que son grand-père est un maréchal de France au caractère particulier et fantasque. On est rarement accepté dans les très élitistes clubs de la capitale. Pour un peu on rêverait de décrypter les codes du Jockey-club en ignorant que des militaires sont à l’origine de la création de ce lieu aristocratique. Au XIXe siècle, l’officier français fréquente le monde et les gens qui le peuplent. Loin de nous l’image d’Epinal qui consiste à croire le militaire enfermé à la caserne dans une vie de servitudes. À Paris, dans le faubourg Saint-Germain il rencontre le fashionable, le gandin, l’élégant. À Londres, près de Jermyn Street, il aperçoit George « Beau » Brummell chez son tailleur avant de rejoindre Almack’s pour sa cuisine raffinée. L’officier brille en société, au club ou au café, il se confond, il devient à la mode, on l’écoute attentivement conter ses guerres, on plaisante sur sa moustache frisée, qu’elle soit à petites pointes, française ou en croc, on tressaille devant ses cicatrices ramenées de Crimée ou du Mexique, l’officier n’envie pas les dandies puisqu’il est dandy. Mais il est ce dandy paradoxal qui s’ignore. Le maréchal Bosquet, surnommé Bosquet-Pacha pour la taille et le luxe de ses campements, est-il un dandy ? Le lieutenant colonel Du Pin à qui « on serait satisfait de faire son éloge s’il ne s’acquittait aussi bien de le faire lui-même » est-il un dandy ? Le général anglais Sir Hope Grant, qui ne se séparait jamais de son violon en campagne, est-il également un dandy ? En somme, l’officier peut-il être un dandy ?



Avec 1815, le siècle qui s’ouvre est le triomphe d’un culte lié à l’expression personnelle. Le romantisme, en ce début de siècle, sacralise la profession militaire. Le libre cours donné à l’imagination et aux sensibilités individuelles traduit ce désir d’évasion et de rêve de toute une génération d’hommes. Les officiers ne sont pas épargnés par la déferlante des émotions nouvelles du romantisme. La guerre devient belle, merveilleuse et sainte. Dès lors l’officier écrivain ne raconte pas les faits de guerre, il les ressent puis nous les transmet. Ses impressions font l’objet de récits et chroniques de la vie militaire à l’instar de Paul de Molènes ; elles se transforment en poésie maladive émanant du tout jeune sous-lieutenant Alfred de Vigny ou encore en belles réparties, escarmouches amoureuses et hauts faits glorieux de boudoir transmis par les bottins mondains et autres revues légères de l’époque. À vrai dire, les premières réunions d’officiers ont lieu à Paris dans la lignée des cercles aristocratiques militaires anglais qui abondent à Londres. Ils permettent un rassemblement d’idées et représentent souvent des foyers d’opposition au pouvoir en place. Les salons de la Troisième République permettent à l’armée de rayonner révélant la prestance de ses officiers et l’élégance de ses mœurs aux plus hautes sphères étatiques. L’art de la guerre en société est en définitive un art de la conversation qui ne manque pas cependant de terminer avec quelques coups d’épée à Vincennes. Les jeunes officiers fougueux ont un esprit d’indépendance et d’insubordination. Ils cultivent toujours un sens aigu de l’honneur et de la provocation. La prégnance de la guerre dans la société française depuis 1789 brutalise les foules et remet le « point d’honneur » au goût du jour. Aux meilleurs d’entre eux d’échapper à la mort, de laver un affront et de remettre sa vie entre les mains du destin. Ainsi, jusqu’en 1914, la profession militaire n’est pas exempte d’ironie, de comique et de bouffonnerie. L’officier bouscule les conventions sociales et hiérarchiques afin de mieux exprimer sa singularité par des attitudes fantasques et déplacées. C’est là tout le problème : inverser l’ordre militaire, subvertir sans jamais fragiliser l’institution militaire. C’est ainsi le paradoxe de ces grands noms militaires et toute la difficulté de la remise en cause des valeurs au profit d’autres, plus fantaisistes, plus festives mais certainement pas moins guerrières.




                                                                                         A.GUEGAN / Mars 2014














vendredi 28 mars 2014

The Charge of the Light Brigade by Lord Tennyson (Suggestion de Natalie Varnier)

1.
Half a league, half a league,
 Half a league onward,
All in the valley of Death
 Rode the six hundred.
"Forward, the Light Brigade!
"Charge for the guns!" he said:
Into the valley of Death
 Rode the six hundred.

2.
"Forward, the Light Brigade!"
Was there a man dismay'd?
Not tho' the soldier knew
 Someone had blunder'd:
Theirs not to make reply,
Theirs not to reason why,
Theirs but to do and die:
Into the valley of Death
 Rode the six hundred.

3.
Cannon to right of them,
Cannon to left of them,
Cannon in front of them
 Volley'd and thunder'd;
Storm'd at with shot and shell,
Boldly they rode and well,
Into the jaws of Death,
Into the mouth of Hell
 Rode the six hundred.

4.
Flash'd all their sabres bare,
Flash'd as they turn'd in air,
Sabring the gunners there,
Charging an army, while
 All the world wonder'd:
Plunged in the battery-smoke
Right thro' the line they broke;
Cossack and Russian
Reel'd from the sabre stroke
 Shatter'd and sunder'd.
Then they rode back, but not
 Not the six hundred.

5.
Cannon to right of them,
Cannon to left of them,
Cannon behind them
 Volley'd and thunder'd;
Storm'd at with shot and shell,
While horse and hero fell,
They that had fought so well
Came thro' the jaws of Death
Back from the mouth of Hell,
All that was left of them,
 Left of six hundred.

6.
When can their glory fade?
O the wild charge they made!
 All the world wondered.
Honor the charge they made,
Honor the Light Brigade,



 Noble six hundred.

Charles Péguy, Eve



Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.
Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.
Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle.

Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles,
Couchés dessus le sol à la face de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts sur un dernier haut lieu,
Parmi tout l'appareil des grandes funérailles.

Heureux ceux qui sont morts pour des cités charnelles.
Car elles sont le corps de la cité de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur feu,
Et les pauvres honneurs des maisons paternelles.

Car elles sont l'image et le commencement
Et le corps et l'essai de la maison de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts dans cet embrassement,
Dans l'étreinte d'honneur et le terrestre aveu.

Car cet aveu d'honneur est le commencement
Et le premier essai d'un éternel aveu.
Heureux ceux qui sont morts dans cet écrasement,
Dans l'accomplissement de ce terrestre voeu.

Car ce voeu de la terre est le commencement
Et le premier essai d'une fidélité.
Heureux ceux qui sont morts dans ce couronnement
Et cette obéissance et cette humilité.

Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans la première argile et la première terre.
Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre.
Heureux les épis murs et les blés moissonnés.


mardi 25 mars 2014

Le Cid, François-René de Chateaubriand


Prêt à partir pour la rive africaine,
Le Cid armé, tout brillant de valeur,
Sur la guitare, aux pieds de sa Chimène,
Chantait ces vers que lui dictait l’honneur :

Chimène a dit : Va combattre le Maure ;
De ce combat surtout reviens vainqueur.
Oui, je croirai que Rodrigue m’adore,
S’il fait céder son amour à l’honneur.

- Donnez, donnez et mon casque et ma lance !
Je veux montrer que Rodrigue a du coeur :
Dans les combats signalant sa vaillance,
Son cri sera pour sa dame et l’honneur.

Maure vanté par ta galanterie,
De tes accents mon noble chant vainqueur
D’Espagne un jour deviendra la folie,
Car il peindra l’amour avec l’honneur.

Dans le vallon de notre Andalousie,
Les vieux chrétiens conteront ma valeur :
Il préféra, diront-ils, à la vie
Son Dieu, son roi, sa Chimène et l’honneur.

François-René de Chateaubriand, Poésies diverses

mercredi 19 mars 2014

"La fantaisie de l'officier" par Mr Thomas Flichy, professeur d'histoire aux écoles de Saint-Cyr Coëtquidan.


"La révolution militaire qui bouleverse la marche de la guerre entre les XVIe et XVIIIe siècle, se heurte à un certain nombre de résistances dont la moindre n’est certainement pas l’esprit de fantaisie aristocratique du corps des officiers. N’hésitant pas à déplacer leurs troupes de théâtre, où leurs ménageries de singes sur le champ de bataille, certains officiers continuent à concevoir la guerre comme un véritable art. Au combat, leur fantaisie se développe au contact de la mort. Sensibles, galants, spirituels, insolents et fantasques, ces capricieux s’imposent avec violence au plus fort des dangers. À la différence des exécutants ternes et scrupuleux qu’ils côtoient, leur intuition et leur bizarrerie leur assurent en effet l’adhésion indéfectible de la troupe. La menace que ces créatifs fait peser sur l’administration militaire est toutefois telle que celle-ci met tout en œuvre pour les brider. 
À partir du XIXe siècle, les militaires les plus atypiques sont pointés du doigt sous le nom d’officiers de fantaisie . C’est alors que s’accélère le déclin d’une bizarrerie aristocratique intimement liée à la transgression."