lundi 7 avril 2014

L’officier de fantaisie ou le dandy militaire, un article par Alexis GUEGAN

On cite souvent les salons de Juliette Adam et de la princesse Mathilde sans être jamais surpris par le nombre d’uniformes présents ; on y voit parader Eugène Sue, Arsène Houssaye ou Victor Hugo quand on renverse par erreur le verre du marquis de Galliffet, général français, élégant lion taillé impeccablement dans ses costumes. On croise à la sortie de célèbres cabarets ou théâtres parisiens quelques fameux dandies : Boniface de Castellane le premier, sans se douter un seul instant que son grand-père est un maréchal de France au caractère particulier et fantasque. On est rarement accepté dans les très élitistes clubs de la capitale. Pour un peu on rêverait de décrypter les codes du Jockey-club en ignorant que des militaires sont à l’origine de la création de ce lieu aristocratique. Au XIXe siècle, l’officier français fréquente le monde et les gens qui le peuplent. Loin de nous l’image d’Epinal qui consiste à croire le militaire enfermé à la caserne dans une vie de servitudes. À Paris, dans le faubourg Saint-Germain il rencontre le fashionable, le gandin, l’élégant. À Londres, près de Jermyn Street, il aperçoit George « Beau » Brummell chez son tailleur avant de rejoindre Almack’s pour sa cuisine raffinée. L’officier brille en société, au club ou au café, il se confond, il devient à la mode, on l’écoute attentivement conter ses guerres, on plaisante sur sa moustache frisée, qu’elle soit à petites pointes, française ou en croc, on tressaille devant ses cicatrices ramenées de Crimée ou du Mexique, l’officier n’envie pas les dandies puisqu’il est dandy. Mais il est ce dandy paradoxal qui s’ignore. Le maréchal Bosquet, surnommé Bosquet-Pacha pour la taille et le luxe de ses campements, est-il un dandy ? Le lieutenant colonel Du Pin à qui « on serait satisfait de faire son éloge s’il ne s’acquittait aussi bien de le faire lui-même » est-il un dandy ? Le général anglais Sir Hope Grant, qui ne se séparait jamais de son violon en campagne, est-il également un dandy ? En somme, l’officier peut-il être un dandy ?



Avec 1815, le siècle qui s’ouvre est le triomphe d’un culte lié à l’expression personnelle. Le romantisme, en ce début de siècle, sacralise la profession militaire. Le libre cours donné à l’imagination et aux sensibilités individuelles traduit ce désir d’évasion et de rêve de toute une génération d’hommes. Les officiers ne sont pas épargnés par la déferlante des émotions nouvelles du romantisme. La guerre devient belle, merveilleuse et sainte. Dès lors l’officier écrivain ne raconte pas les faits de guerre, il les ressent puis nous les transmet. Ses impressions font l’objet de récits et chroniques de la vie militaire à l’instar de Paul de Molènes ; elles se transforment en poésie maladive émanant du tout jeune sous-lieutenant Alfred de Vigny ou encore en belles réparties, escarmouches amoureuses et hauts faits glorieux de boudoir transmis par les bottins mondains et autres revues légères de l’époque. À vrai dire, les premières réunions d’officiers ont lieu à Paris dans la lignée des cercles aristocratiques militaires anglais qui abondent à Londres. Ils permettent un rassemblement d’idées et représentent souvent des foyers d’opposition au pouvoir en place. Les salons de la Troisième République permettent à l’armée de rayonner révélant la prestance de ses officiers et l’élégance de ses mœurs aux plus hautes sphères étatiques. L’art de la guerre en société est en définitive un art de la conversation qui ne manque pas cependant de terminer avec quelques coups d’épée à Vincennes. Les jeunes officiers fougueux ont un esprit d’indépendance et d’insubordination. Ils cultivent toujours un sens aigu de l’honneur et de la provocation. La prégnance de la guerre dans la société française depuis 1789 brutalise les foules et remet le « point d’honneur » au goût du jour. Aux meilleurs d’entre eux d’échapper à la mort, de laver un affront et de remettre sa vie entre les mains du destin. Ainsi, jusqu’en 1914, la profession militaire n’est pas exempte d’ironie, de comique et de bouffonnerie. L’officier bouscule les conventions sociales et hiérarchiques afin de mieux exprimer sa singularité par des attitudes fantasques et déplacées. C’est là tout le problème : inverser l’ordre militaire, subvertir sans jamais fragiliser l’institution militaire. C’est ainsi le paradoxe de ces grands noms militaires et toute la difficulté de la remise en cause des valeurs au profit d’autres, plus fantaisistes, plus festives mais certainement pas moins guerrières.




                                                                                         A.GUEGAN / Mars 2014














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