Du
Comte De Torsac,
Colonel
du Régiment de la Calotte,
« De
suffisance & de sottise humaine
Si
la durée est à jamais certaine;
Ci-gît
TORSAC, le digne Colonel
D'un
Régiment fait pour être immortel. »1
Lorsque
les sources sont avares de renseignements, il faut bien convenir que
l’anecdote est chose aisée pour expliquer tel ou tel fait. Ainsi
en est-il du récit de la fondation de cette société de nobles
rieurs, tous hurluberlus et savants voyageurs aériens, selon que
l’on se place, si tant est qu’une police puisse un jour exercer
celle du ridicule. Voici donc une sorte d’histoire très abrégée
mais ô combien source d’inspiration pour qui voudra bien la lire,
et pour ceux dont la verve d’esprit et la fantaisie ornent le
front. Hommage à la satire, à la saine déraison, à
l’extravagance, hommage à l’esprit quelque peu décalé d’une
aristocratie s’affirmant comme gardienne des rituels et savoirs du
rire ainsi qu’un rempart contre la décadence et la vulgarité,
voici
Le
régiment de la Calotte
Un jour de 1702, au
sortir d’une réunion entre « honnestes gens », parmi
lesquels Philippe Emmanuel de La Place, comte de Torsac et Colonel
des Carabiniers, Étienne Isidore Théophile Aymon, Porte-manteau du
Roy et le Sieur de Saint-Martin, Mousquetaire, ainsi que plusieurs
autres officiers, tous beaux esprits de la cour, il fut une plaisante
boutade destinée à un l’un d’eux souffrant d’une atroce
migraine : « Pour que l’on ne souffre plus de vos
spasmes et afin de soulager votre chef, veuillez s’il vous plaît
placer au-dessus de votre crâne une calotte de plomb. Elle vous
rendra mine fière et pas plus léger ! »
Que l’on ne se
méprenne point, la digne assemblée en décidant d’apposer
imaginairement une chape de plomb sur la tête de l’extravagant,
symbole et révélateur de douce folie ainsi que remède contre
l’esprit qui s’évapore, s’arroge le noble droit de se faire
dénonciatrice d’une société décadente où renouveau de la
culture nobiliaire rimerait avec un retour du « beau rire »,
de cette saine déraison aristocratique aux contours épurés, aux
rituels et savoirs renouvelés. La chose est alors entendue :
une personne ayant souillé les règles de la bienséance ou de la
politesse lors d’un repas ou dans une compagnie des plus élégante,
et provenant ou non d’une condition particulière, se voyait
remettre ce qui pourrait s’apparenter à une Lettre Patente (cet
acte législatif, ce texte par lequel le roi rend public et opposable
à tous un droit, un état, un statut ou un privilège), un Brevet
signé et scellé du sceau de la Calotte qui faisait acte
d’enrôlement dans le Régiment.
Ce badinage raffiné
et poli devînt donc très utile pour la correction des mœurs,
chacun observant en tous lieux une saine bienséance, mais pour
former aussi la jeunesse à la politesse et à la modestie.
« Le
degré de politesse et de lumière auquel les Français étaient
parvenus, joint au goût dominant de cette nation pour les
nouveautés, demandait quelque chose qui ne ressemblât à rien de
tout ce qui avait paru de grossier et de dégoûtant. Quel heureux
moment ! Quelle favorable conjoncture pour la création du
Régiment de la calotte ! »2
I/
Réaction culturelle
A/ Aristocrates
militaires
"Issu
de la brillante troupe des mousquetaires du roi, Aimon a toujours
combattu pour la gloire des armes, celle qui a paru la plus
brillante. Il acquit, en ces duels particuliers qu'il eut de si grand
nombre, la réputation de meilleure épée de son temps"3
Les éclats badins
et drolatiques qui ne font à eux seuls qu’un particularisme de
plus dans les sociétés intellectuelles déjà existantes ne
suffisent pas à expliquer l’engouement qui se mit à frapper
certains autres esprits. Ce rire n’est pas seulement le fait des
caprices invétérés d’une classe intellectuelle avide de
divertissement, mais bien la somme de pensées aristocrates et
militaires. Ce reflet idéologique se meut bien distinctement parmi
la masse grouillante des courtisans et des petits hommes de lettres.
En effet, c’est par l’application d’une stricte hiérarchie et
de règles propres que chacun doit œuvrer à la gloire, non
seulement des armes du royaume de France, mais à celles de
l’aristocratie. Car tirer son épée de belle façon ne
s’accompagne que de la promptitude à deviser, rire, et écrire. De
Torsac semble ainsi ne pas avoir été avare de bravoure lorsque
l’occasion s’en présentait « alliant de la plus
irrésistible manière bravoure et comique », notamment lors du
fameux siège de Douai.
Cette fonction militaire est établie dès
la fondation puisque Isidore Aymon (Aimon ou Aymond), élu
« généralissime » de la société en 1702, illustre
porte-manteau du roi (cet emploi de haute domesticité), issu de
l’aristocratie dauphinoise, Emmanuel, comte de Torsac, colonel des
Carabiniers, « fort chatouilleux sur sa noble délicatesse »,
et le sieur de Saint-Martin, capitaine des Mousquetaires fondent et
instaurent les lois dudit régiment.
Louis XIV ayant été
informé de la création de cette plaisante milice, demanda un jour
au sieur Aymon s'il ne ferait jamais défiler son régiment devant
lui : « Sire, répondit le général des Calottins, il ne se
trouverait personne pour le voir passer ! »
Les frasques
gloutonnes et littéraires de ces différents personnages, relatées
dans de joyeuses chroniques, font état de l’existence des
officiers calottins. Il ne m’est ici permis de n’en dresser
qu’une liste assez restreinte, car comme énoncé plus haut, les
sources sont parfois assez avares de renseignements. En effet,
d’autres illustres inconnus, mus eux-aussi par un haut honneur
militaire et nobiliaire, en furent à n’en point douter les dignes
représentants.
Jean de Baradat, Armand de Caumia-Baillenx, Pierre
de Camou-Lagarde, Jacques de Terride, Armand de Mont-Réal, Alexis de
Haraneder, tous membres de l’une des deux compagnies de
Mousquetaires du Roi et placés sous la protection de leurs
capitaines Jean de Garde d’Agoult jusqu’en 1716, Joseph de
Montesquiou jusqu’en 1729, Louis de Bannes jusqu’en 1736, puis
Jean de Montboissier –Canillac.
B/ Cérémonie,
règlements
Il n’est ici pas
encore question de faire allusion aux intellectuels qui donnèrent à
la Calotte ses lettres de noblesse. Néanmoins, il faut pour
expliquer certaines pratiques et règlements en dessiner
grossièrement les contours :
Le régiment de la
Calotte produit un important corpus de brevets, de brochures et de
comédies satiriques afin de créer une machine propre à intervenir
sur la scène littéraire, moyen incontournable pour appliquer cette
réforme des mœurs chère à ses fondateurs. Il fallut donc
déterminer des rites propres où le rire deviendrait une pratique
collective organisée en cérémonies précises. Il est ici question
de l’identité profonde et de la sociabilité du Régiment parmi la
foule choisie des fantaisistes.
Le manquement aux
bienséances, au bon goût, à la logique et au bon sens, soit dans
les paroles, soit dans les actions, se payait cher : les membres de
la société de la Calotte envoyaient des brevets à tous ceux qu'ils
croyaient dignes d'être enrôlés dans leur régiment. Aucun grade,
aucune dignité, nulle position élevée n'était à l'abri des
brevets satiriques de ces joyeux critiques. La tenue de « conseil »,
disposant de la liberté nécessaire pour délibérer, se clôturaient
par la désignation de plusieurs lauréats. Ainsi, le Maréchal de
Villars reçut un brevet pour avoir passé le Rhin audacieusement, le
contrôleur général John Law pour avoir ruiné la France à l’aide
de « brillants systèmes financiers », Monsieur
d’Argenson, Garde des Sceaux, le Prince Eugène de Savoie. La cour
bien-entendu frémissait de ne pas être en reste, chacun se sachant
sous le regard amusé du Régiment.
En effet, Malheur au digne
sujet qui n’honorerait pas l’invitation à se présenter au plus
vite devant le conseil calottin. Héritée du caractère militaire
qui fut la source de la création du Régiment, une milice calottine,
les « dragons », avait alors l’amusante et cruelle
tâche d’aller lire le brevet satirique, jouer cette « Sarabande »
sous les fenêtres d’un adversaire retranché farouchement
derrière ses prétentions et son mépris. Ainsi, longtemps menés
par Saint-Martin, que nous connaissons, ils s’en allaient à
travers les rues avec force de voix et de hurlements, grimés,
maquillés aux couleurs du Régiment de la Calotte, afin d’attirer
l’attention des spectateurs et autres badauds. L’incroyable
charivari, patronné par le « dieu Pet » apparaît comme
un aboutissement plus violent, un trait directement lancé à la face
du récalcitrant.
"Cui
ridere regnare erat"
4
("c'est
régner que de savoir rire").
Ce monde calotin,
pour autant qu’il ne soit pas dénué d’un certain sens de
l’autodérision , ne pourrais se passer de ce que l’on pourrait
nommer les « cérémonies du rire », ces assemblées, ces
discours publics, mais surtout ces véritables mises en scène que
sont les banquets et autres réceptions.
"Au
Sénat, pinte de vin est nécessaire
Pour
traiter une grande affaire
Quand
tout le monde en avait bu
C'est
icy le coup de partance..."5
Le Régiment se
transforme alors en société bachique. Il convient ici pour
illustrer le propos de faire état d’un certain repas qui marquât
les esprits sous la Régence : en mars 1718, l’abbé de
Margon, Plantavit de la Pause, personnage excentrique, original et
frondeur, un des principaux poètes calotins, consacre une forte
somme pour rassembler tout ce que la marotte clique contient de beaux
personnages afin d’organiser un repas pantagruélique.
Au-delà
de certaines fameuses intronisations, qui voyaient d’illustres
personnages appelés à « siéger au conseil de Momus », la tenue
de cérémonies confère à l’Assemblée un caractère
communautaire et rituel.
Regard sur une
cérémonie :
Au palais de
Momus, sous la gouverne d’un rayon de lune et la lumière
circulaire des flambeaux, au-devant de plusieurs rangées de tables
disposées en son centre, une ceinture de banquettes ferme la place
et déroule devant nos yeux le théâtre de la mascarade :
A
notre droite s’élève l’estrade du tribunal de Momus tandis qu’à
notre gauche, fièrement dans un coin se dresse la tribune aux
harangues. Ici trône le royal siège de Saint-Martin, protecteur
trublion, et malaisé de ne pas encore pouvoir rendre au
généralissime les honneurs dus à son rang.
Chacun a pris place
sur les banquettes et n’attend plus que l’arrivée des poètes
Roy et Piron, l’un greffier de la Calotte et l’autre célèbre
orateur.
Les premiers à investir le lieu sont les étendards et
guidons du Régiment, troupe colorée qui s’immobilise devant le
pourtour des banquettes. Une porte s’ouvre et se referme, les
visages se tournent, le général entre dans la place tandis que
l’assemblée se lève. De Torsac s’avance tenant la marotte en
main, fièrement coiffé de la Calotte et s’installe pesamment sur
le trône de Saint-Martin. Suivent les deux poètes qui viennent
prendre place sur l’estrade de la tribune aux harangues. Le poète
Roy ouvre les réjouissances en lisant lentement les statuts du
corps. Les cuivres, fifres et tambours de la fanfare ferment ce
premier discours puis s’ébranlent au milieu de la salle. De Torsac
se lève, les étendards se forment en procession et défilent devant
les illustres spectateurs. Une fois que la chose est faite, le poète
Piron se lance dans une superbe déclamation en vers, harangue toute
la troupe en faisant l’éloge du généralissime. Après le
simulacre d’un couronnement burlesque, le généralissime emmène
derrière lui toute l’assemblée, sous les tourbillons de la
musique et guidés par la marotte. Le « palais de Momus »
devient alors le théâtre d’un beau charivari.
Après ce grand
remue-ménage, tout le monde s’installe à sa place pour admirer la
cérémonie d’intronisation du nouveau candidat à la Calotte. Il
entre, tout ferré de rubans et de cordelettes, coiffé d’un bonnet
à grelots afin de répondre devant le trône de Saint-Martin de ses
faits, brillamment exposés par les brevets du poète Piron. S’ouvre
donc le scrutin, ou chacun a le loisir de piocher dans une cuve une
balle blanche ou noire, selon que le candidat soit en mesure ou non
d’accéder à la « marotte clique ». L’apparition
d’une balle noire déclenche l’ire du généralissime et
déclenche une séance de joyeuse torture intellectuelle appelé le
« rire noir », séance de véritable interrogatoire où
le récalcitrant est assailli de questions concernant l’existence
du régiment. La balle blanche signifie que le candidat est à même
de remplir ses devoirs au sein de l’institution et déclence le
« rire blanc ». Enfin, alors que les tables s’ornent de
différents mets de bouche ainsi que d’une incroyable profusion de
rafraîchissements, la salle se lève afin de réciter en latin le
« décalogue de la Calotte », « l’Hexalogue des
calottins » puis les lois de l’institution, la
« Jurisprudentia Calottinorum ».
II/
Rayonnement et influences
A/ La littérature
« Ces
poèmes étaient assaisonnés d'un sel délicat, sans mélange
d'aucun fiel dont la violente amertume pût en corrompre le goût et
le rendre insupportable. Le Régiment traita donc ces matières qui
ne sont bagatelles qu'en apparence avec tant de noblesse et
d'agrément qu'elles devinrent l'amusement de toute la cour qui ne
retentissait alors d'autre chose. Il en voulait aux vices dont il fut
l'exterminateur. »6
La question
littéraire ne saurait se limiter à d’aimables flux de bouches,
dispensés à souhait à la face des rieurs ou à celui des quidams
de la cour. Certes les heureuses et saines velléités des beaux
esprits sont les armes ultimes du Régiment, champions tour à tour
des armes du royaume ainsi que de la survivance d’une aristocratie
éclairée contre les vents et les marées de la décadence et de la
vulgarité. Mais on connait le vieil adage qui veut que les écrits
restent pendant que les paroles s’effacent. La diffusion des
lettres Patentes cache en fait un véritable monde intellectuel et
souterrain, volontairement dans l’ombre car incompris et soumis au
diktat de la littérature populaire. Le combat de la Calotte contre
ces maux passe en effet par non seulement la diffusion d’écrits en
tous genres, petits opéras, pamphlets et dictionnaires, mais aussi
par le fait que Versailles soit un glorieux vivier de candidats
potentiels. Ces écrits de la Calotte furent connus et lus par le roi
lui-même, qui en fut pour le moins curieux. Des grands du royaume
étaient de la partie et la marotte clique était connue de tous.
Cela fut très certainement pris comme un jeu, qui ne plût néanmoins
pas à certains, nous l’avons vu. Ces « récalcitrants »
sont certes à la source de l’intervention des « dragons »,
mais nourrissent aussi la verve fantaisiste de l’illustre clique.
C’est l’alliance entre une société nobiliaire et une société
de lettrés qui est sans nul doute la condition première du rire
calottin. Ces auteurs s’identifient de plus en plus au long du
18ème siècle en se retrouvant régulièrement dans les
cafés proches de l’Opéra-comique afin de produire leurs écrits.
Réunis sous l’appellation des « rats calottins »,
ils se définissent bien volontiers comme vivant sous les hospices de
la folie, se réclamant donc d’une forme autre mais supérieure de
sagesse, d’honnêteté, de civilité, d’érudition et de
bagatelle.
Ainsi, des auteurs comme Pierre Guyot-Desfontaines
(« Lettres sur l’histoire des rats »), Bosc du Bouchet
("La journée calottine"), le fameux Louis Fuzelier ("Momus
fabuliste"), Alexis Piron ("L'origine des puces"),
Gacon ("Discours satyrique")... produisent des pièces à
succès sur la scène de l'Opéra-Comique, mais s'amusent à étaler
leurs aimables pitreries afin de contribuer au combat pour le
redressement des mœurs. La centaine d'ouvrages satiriques qui émane
de leur caboche forgent une sorte de véritable contre-modèle de
l'Académie française, chose instituée par ce "Dictionnaire
néologique à l'usage des beaux esprits", sous la direction de
l'abbé Desfontaines.
Il est entendu et
non moins vrai que tout ce qu’entreprend la Calotte n’est fait
que dans le but de débusquer le vulgaire, s’attirer les foudres
des ignares, vanter un mérite qui n’est loué que trop peu, et
attirer les regards d’une aristocratie qui serait frappée dans sa
conscience, mais il est aussi certain que la « clique des
nobles rieurs » dérange.
Même la présence parmi elle du
comte de Maurepas, célèbre ministre du Régent puis de louis XV ne
suffit pas à rehausser la mauvaise réputation de ces satiristes.
B/ Déclin et
disparition :
En se targuant
d’être devenus les ambassadeurs du bon rire, mais aussi de la
saine critique et du bel esprit, les calottins deviennent eux-mêmes
les fossoyeurs de la Calotte. En effet, rire de tout est agréable
lorsque le verbe est lumineux, et rire de soi-même apparaît comme
une preuve de certaine intelligence. Alors il en va de ces rires
comme des boulets de papiers lancés à la face de la belle société,
tout comme ils sont tirés joyeusement au nez du Roi, de ses
maîtresses, de la cour, de l’absolutisme et de ses déviances et
là où on l’attendait, à l’encontre des chefs même de la
Calotte.
La cadre du début de la Régence, peu après la mort de
Louis XIV, voit les textes s’orienter vers une sorte de
revendication nobiliaire anti-absolutiste, dont de Torsac fera les
frais. En effet, accusé de n’avoir pas respecté les « lois
fondamentales de la Calotte », Aimon et Saint-Martin,
co-fondateurs du Régiment, retiennent contre le généralissime
« 333 chefs d’accusations » qui permettent de le
déposer. Ces ambassadeurs de Momus convoqueront les « Etats
Généraux de la Calotte », ouvert au « Champs de Mars »
au printemps 1716, réunissant les représentants de toutes les
provinces « sub-lunaires ». Après sept jours de débats,
conversations, jugements et autres dîners, il est convenu par chacun
que le vieux généralissime sera nommé « Ambassadeur de la
Porte ottomane », manière de renvoyer ironiquement
l’usurpateur à ses démons, ceux du despotisme oriental.
Il
convient de rappeler que cette impertinence à se moquer qui sied à
cette liberté joviale inhérente au caractère français, permet
d’honorer de ses Brevets, certes le roi nous l’avons vu, mais
aussi la reine, les Princes de sang, les archevêques et les
ministres. Il apparaît plus clair que la Lune reste un adversaire du
Soleil…
Malgré ces signes de décadence interne, la Calotte en
1731, à la mort d’Aimon, voit le roi Louis XV en personne
intervenir dans l’élection du troisième généralissime du
Régiment. Mais la prière au roi ci-dessous ressemble à ces espoirs
que le mourant dépose aux pieds de Dieu, à l’heure de la
disparition.
« Apportons
avec révérence
Aux pieds de Votre Majesté,
les cœurs les
plus soumis de France.
Pour l'honneur du trône français
Supplions
votre Majesté
De maintenir, par équité,
Notre ordre en tous
ses droits d'aubaine. »7
Le contexte de crise
politique et des importantes tensions littéraires ne suffisent pas à
expliquer le déclin puis la disparition corps et bien de
l’institution calottine. En effet, à partir de 1748 les poètes
calottins ont la maladresse de s’en prendre à la marquise de
Pompadour, illustre favorite et maîtresse du roi (« les
poissonades »). Ainsi, de Brevets en Brevets ils dénoncent les
origines roturières de cette Antoinette Poisson, anoblie par son
mariage avec Lenormand d’Etioles. L’attaque calottine est
justifiée mais la proie est de trop forte taille. Alliée
d’illustres tragédiens ennemis de la Calotte, dont Crébillon et
Voltaire, le roi n’entend pas laisser passer des textes qui
s’illustrent par une satire des plus violente.
« Ces
parodies satiriques ont été défendues à Paris pendant plusieurs
années. Faut-il qu’on les renouvelle pour moi sous les yeux de
votre Majesté. Elle ne souffre pas la médisance dans son Cabinet,
l’autorisera-t-elle devant toute la cour ? »8
Cette véritable
guerre qu’est l’affaire des coteries versaillaises verra le plus
fervent et plus sûr soutient du Régiment, Maurepas, disparaître
dans la bataille. Le jeu des alliances, si précieux pour la Calotte,
se retourne contre elle et ne laisse que peu de chance à ses
illustres représentants. Cette conjoncture politico-littéraire
décide donc du sort de la Calotte et plonge ses auteurs dans une
sorte de léthargie et de silence ("L'on
craignait même que la nation n'eût perdu son caractère et les
lettres leur bel esprit" Baron
Grimm).
En 1752 paraît ce qui semble être l’ultime texte
calottin connu, le « carillonnement général de la Calotte »,
par le vieux généralissime Saint-Martin. Ce petit opéra comique
est assez proche de ce qu’a produit le poète Roy en compagnie du
compositeur André Cardinal Destouches, le « Ballet des
Eléments ».
La Folie décide que
plus un personnage n’a le mérite nécessaire pour siéger au
conseil de Momus. On a beau chercher et fouiller dans les recoins du
royaume, pas un ne semble prétendre à l’illustre assemblée.
Pourtant, tout droit sorti des vaporeuses et superbes provinces
lunaires, un Chevalier comique, noble esprit et de farouche et
fervente aristocratie, admirateur de l’auteur Cyrano de Bergerac,
y est longtemps attendu. Symbole d’une noblesse d’âme qui ne se
peut disparaître et qui œuvre toujours à la défense de l’esprit
français contre les assauts de la médiocrité, de la vulgarité et
de la décadence, il ne viendra jamais.
Ainsi disparait la
Calotte, ainsi ont vécu les esprits de ceux qui se firent les
courageux champions de la satire, de la saine déraison, de
l’extravagance, de l’âme décalée d’une aristocratie
s’affirmant comme gardienne des rituels et savoirs du rire, ce
rempart contre les dérives du temps.
« Apprenez
donc, s’exclame ainsi le calottin du « Dialogue du Parnasse »
en adressant la sentinelle du Palais des Muses, métaphore
transparente de l’Académie française, que nous ne sommes pas des
faquins, et que nous avons l’honneur être élite de ces
aventuriers calottins qui depuis quelques années gratifient le
public de leurs utiles productions. Oui, nous faisons la fortune des
libraires, nous faisons seuls rouler les presses d’Amsterdam, de La
Haye, de Paris. Nous sommes le corps de réserve d’Apollon, la
gendarmerie de Minerve, les mousquetaires de Mercure, les dragons de
Melpomène…9
Le
Régiment de la Calotte ».
« Eloge funèbre du Sieur
de Torsac. »(Texte issu des « séances des Etats
calottins »).
« Oraison funèbre du
général Aimon 1er. »(Texte issu des
« séances des Etats calottins ».)
« Oraison funèbre du
général Aimon 1er. »(Texte issu des
« séances des Etats calottins ».)
Une des devises du régiment de
la Calotte
Bosc du Bouchet : « Le
Conseil de Momus et la revue de son Régiment »
Bosc du Bouchet : « La
journée calottine ».
« Compliment du Sieur de
Saint-Martin au Roi de la part du Régiment de la calotte »
(« les Nouvelles calottines. »)
Voltaire concernant l’affaire
Sémiramis
Guyot Desfontaines :
« Dialogue du Parnasse ».